De la confection au prêt-à-porter, les années cinquante huit

Publié le par Adam Pianko

 Les années cinquante huit

Cette décennie fut longue, un peu trop longue même, si l'on en croit le slogan: "Dix ans ça suffit!" Et elle s'acheva donc, comme chacun le sait, par une révolution.

 Ce qu'on ne sait pas en revanche en fait de révolution, ou qu'on a peut-être oublié , c'est celle qui a éclaté dans le textile, avec le remplacement de ce qui s'appelait alors "la confection", par une façon nouvelle de créer, de fabriquer et de distribuer les vêtements. Les deux révolutions, celle de mai 68, et celle du "prêt-à-porter",  se sont croisées,enchevétrées, superposées dans le temps .

Lorsque j'ai commencé à travailler dans l'entreprise de mon père, c'était encore l'époque de la  "confection". Les vêtements n'étaient pas fabriqués en série, les boutiques n'achetaient rien en avance, seulement un exemplaire ou deux des  modèles qu'ils avaient choisis, afin que leurs clientes aient l'opportunié de les essayer, et donc passer commande, le cas échéant. Et quant-à la façon dont ces modèles étaient créés, je l'ai raconté dans mon premier roman.     

"A cette époque, la Haute Couture tenait le haut du pavé, la mode était décidée par les grands couturiers, et nous n'hésitions pas à recourir aux plus prestigieux:  Dior, Saint Laurent, Chanel, Balenciaga. Comme ils ne songeaient pas à  nous inviter à leurs présentations, nous nous rabattions sur les photos de leurs créations que les magazines de mode publiaient.... Avec Aron mon associé, nous choisissions dans le journal Elle ou bien dans Marie Claire les vêtements que selon nous, notre clientèle serait susceptible d'apprécier. Il ne nous restait plus qu'à les recopier, à les reproduire fidèlement. Aron se chargeait de la coupe, une technique qu'il avait étudiée dans un cours du soir pour émigrés, et moi de la matière première. J'exécutais mes pièces de lainage avec très peu de laine, et de la laine de récupération exclusivement. Pas un gramme en provenance directe d'un mouton. Pour l'essenciel, j'utilisais des fibres anonymes, si modestes que leurs promoteurs ne leur avaient pas données de nom. J'étiquetais 100% pure laine vierge, et le tour était joué". (La mélodie d'Alzenheimer. Aujourd'hui épuisé, ce livre est en vente sur le Net, d'occasion. 31 euros, sur www.chapitre.com 31 euros) A ce jour, il ne leur en reste plus que deux exemplaires, il serait temps, ,je crois, qu'il soit réédité.

 En 58, l'autre associé de mon père, son frère cadet, qui s'appelait Zyga, eut vent de l'arrivée en France d'un concept nouveau,  "Prêt-à-porter".Il s'agissait ni plus ni moins que de détroner les Grands Couturiers. Ceux qui les remplaçaient, savaient créer aussi bien qu'eux, mais  ne réservaient pas leurs créations à quelques femmes fortunées. Ce qu'ils voulaient, c'était d'habiller les femmes de la rue, directement, sans intermédiaire ni délai. En 58, Daniel Hechter fut le premier "styliste" que mon oncle engagea, après quoi il y eut Emmanuelle Khanh en 59, Michèle Rosier en 1960, et Agnès b. en 63.

Avec les stylistes arrivèrent les mannequins, que des agences spécialisées firent venir d'Amérique, et surtout de Scandinavie. La taille moyenne des jeunes filles françaises était alors d'un mètre cinquante six selon une étude de l'INSEE. C'étaient des filles toutes simples, curieuses de la vie, modestes, aventureuses, et enchantées de la chance qu'elles avaient de voyager, de gagner leur vie si largement, et si facilement. Dans leur pays,  elles étaient étudiantes, vendeuses, caissières dans un supermarché. A Paris, on les voyait de loin, les gens se retournaient sur elles dans la rue. Et elles avaient des moeurs déconcertantes, qui chamboulèrent durablement ma libido.

"Des cheveux blonds naturellement bouclés, tirant légèrement vers  le roux, des jambes longues, des seins ronds, un cou élancé, Pandora était grande, - un mètre soixante quinze sans talons - danoise et mannequin...La première fois que Samuel la vit, c'était la veille de la présentation d'une nouvelle collection. Entouré d''une équipe de stylistes, il recevait les candidates, envoyées par des agences spécialisées. Vers le milieu de l'après-midi, il sortit prendre un café. Quand il revint dans le show-room, il y trouva cette fille nue, tenant à la main un ceintre, duquel pendant la robe qu'une des stylistes lui avait demandée de passer. Les Scandinaves étaient comme ça. On avait beau leur indiquer la cabine d'essayage, leur dire: c'est là-bas, derrière le rideau, répéter cette injonction en anglais, en suédois, elles ne  voulaient rien savoir pour s'y plier. Les mannequins scandinaves- et les Danoises plus encore que les autres, se déshabillaient professionnellement, sans autre intention que de ne pas perdre de temps, indifférente à l'effet que pouvait produire leur nudité. "Le pavé originel", 13 euros, dans toutes les bonnes librairies, et sur le Net. chapitre.com .

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